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Tonton Pierre

 

 

Après un DESS de Droit à Aix, Pierre a atterri en 1979 à Marseille, pour une très courte durée, juste le temps qu’il se retourne, dans cette ville qu’il n’aimait pas, dans un appartement en périphérie qu’il n’aimait pas non plus parce qu’exposé plein nord. Trente-cinq ans après il y est toujours. Mais finalement ce quartier a beaucoup changé, en mieux. Beaucoup de verdure a poussé, beaucoup de jolis immeubles, des commerces, le tramway arrive sous sa porte. Cependant la course du soleil n’a malheureusement pas dévié, et ne pénètre toujours pas chez lui. Cependant quand je dis que ce quartier a changé en mieux, ce n’est que par rapport à l’arrivée de Pierre au début des années 80, parce qu’en réalité je le préférais tel qu’il était dix ans auparavant, avant qu’on ne transfigure les abords des grandes villes avec l’implantation des hypermarchés, puis carrément des zones commerciales qui ont tué tous les centres-villes et tous les petits commerçants, et de tours HLM qui ont crée les cités et les ghettos. Car ce quartier, je l’avais bien connu autrefois, nous étions venus y habiter avec mes parents, à la Grognarde, un ensemble solitaire en plein milieu de la campagne marseillaise. Il n’y avait rien d’autre que notre immeuble, des maisonnettes, une pépinière, des fermes, des champs, des chemins bordés de murets en pierre, des bois, où avec ma bande de copains, nous allions flirter. Dans ce bois, à quinze ans, j’ai connu mon premier amour, mais tirons là un grand voile de pudeur. Sur ce bois, on a construit de grandes tours, Air Bel ça s’appelle, un ghetto plein de trafics. Depuis quelques années, le tramway y passe en plein milieu… Nous n’irons plus au bois. J’ai rencontré Pierre en 77 sur les bancs de la fac de Droit en 3è cycle. Curieusement, à l’instant où j’ai vu ce jeune homme passer la porte de la salle de cours, s’arrêter, jeter un regard circulaire, j’ai su instantanément que nous allions avoir un bout de chemin à faire ensemble. Curieusement, il vint s’asseoir à côté de moi et me parla. Nous cheminons, donc, depuis près de quarante ans. Plus que de l’amitié, une véritable fratrie. Le frère que je n’ai pas eu, mon frère de cœur. Avec ce qu’un tel lien suppose de hargne quelquefois, de coups de gueule, de scènes, de bouderies, mais d’amour, mais de totale confiance, mais de dévouement.

Quand mon premier enfant est né, je revois Pierre, à la maternité, prendre ce petit dans ses bras, le regarder intensément, et prédire qu’il serait très beau. Ce qui est d’ailleurs le cas, parole de mère. On ne se voyait plus trop

depuis quelques temps, j’étais partie travailler loin de Marseille. Mais à cet instant-là, Pierre qui n’avait pas d’enfant, s’est attaché à celui-ci. Tous les dimanches ou presque, il venait nous rendre visite, voyait ce bébé grandir de semaine en semaine. Quand il pleurait, il suffisait que Pierre le prenne dans ses bras pour qu’il se calme tout de suite. Nous l’avions surnommé « Tonton Doliprane ». À huit mois, mon enfant a prononcé son prénom. Les vacances, depuis toujours, c’est chez tonton, le tonton-gâteau que tout enfant rêve d’avoir. Le Père Noël, pendant des années, ce fut lui, déguisé rapidement dans notre garage, montant avec la hotte pleine, au son des grelots de son traineau stationné plus loin, que mes enfants entendaient distinctement car il suffisait de leur faire remarquer qu’il y avait comme un tintement dans l’air.

C’est devenu rapidement Tonton Pierre pour tout le monde, un point c’est tout. Aucune fête de famille ne s’est faite sans lui, c’eut été inconvenant. Car il est devenu par la même occasion, au fil des ans, le frère de cœur de mes sœurs.

Il a beaucoup souffert, de bien des choses. Il a payé très cher, entre autre, le manque d’amour maternel. Il a su, par pudeur, par dignité, ne jamais se plaindre de rien, ne jamais rien demander, et a forcé l’admiration de tous. Sa vie, qu’il avait espérée belle, comme tout un chacun, a été semée d’embûches et ne fut pas pavée de roses. Mais il l’a magnifiée par un sens aigu du dévouement et de l’amour de son prochain. Ce fut sa réussite et elle est totale.

Pierre, c’est l’âne de la Gnose, il sait tout, il entend tout mais ne dit rien.

Je te promets, Pierre, que quand tu seras vieux et malade, je te soignerai comme une mère aimante, celle qui t’a toujours fait défaut. Elle ne t’a jamais aimé, moi si.

 

Qu’il soit remercié ici solennellement et une bonne fois pour toutes, pour m’avoir fait connaître, il y a près de quarante ans, le 2è concerto pour piano de Rachmaninoff qui a enchanté toute ma vie, pour l’amour inconditionnel qu’il porte à mes petits, pour son affection, pour sa totale et loyale présence auprès de nous.



26/10/2015
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