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Totale supercherie

Quand mon fils Alexandre était en 5è, on lui demanda d'écrire une rédaction. Un truc pas croyable : il fallait qu'il fasse la recherche d'un homme illustre, n'importe lequel, qu'il en apprenne la biographie, imprime sa photo, puis se substitue à lui et invente une autre biographie. Un truc délirant, quoi... Et comme je trouvai cela idiot et qu'en outre il était, à cette époque-là, très très nul, je décidai de la lui écrire, car c'était plus vite fait que de lui expliquer, à ce grand obtus, les règles de la rédaction, comme d'ailleurs il lui fut impossible d'apprendre la table de multiplication, ce qu'il ignore encore à l'heure actuelle. Je choisis Rubens. Et je me suis bien marrée à écrire la délirante imbécillité qui suit. La prof lui mit 20/20, bien qu'elle ne fût pas dupe de la supercherie. Je ne peux m'empêcher de vous en faire part.

 

           "Cet homme sur le tableau, si distingué, c’est moi. Je me présente : Simon Saint-Rubes. De là où je vous conte mon histoire, je revois en images toutes les étapes de mon existence  avec joie. Si toutes ne furent pas forcément drôles, beaucoup cependant embellirent ma vie.

 

            Ma naissance se situe au seizième siècle à Châtillon sur Chalaronne, splendide bourg de 2500 habitants, à quatre lieues et demie de Mâcon-sur-Saône. Je peux vous indiquer qu’à l’heure d’aujourd’hui, c'est-à-dire en 2004 (je suis mort à la fin du 16è), ce bourg compte 4500 âmes, et est répertorié comme l’un des plus beaux villages fleuris de France. Il est vrai que déjà à l’époque, j’avais grandement contribué à la magnifique évolution de mon village natal en faisant planter, puisque j’en étais le maire, d’immenses platebandes de fleurs et des allées d’arbres plus luxuriants les uns que les autres ! La nature servit mes desseins car la Chalaronne, rivière tumultueuse, passe en plein milieu de la ville dont on dit dans vos prospectus publicitaires actuels qu’elle est «  la petite Venise des Combes », étant donné le nombre de ponts fleuris qui l’enjambent, créant ainsi une perspective des plus belles. Ceci entre parenthèses.


            Or donc, né au seizième siècle d’un père charpentier et d’une mère très maternelle, mon enfance fut bercée au double son de la Chalaronne qui s’écoule entre les pâtés de maisons à colombages, et le marteau de mon papa, qui mit trois ans pour construire les monumentales halles destinées à abriter le marché. Ces bonnes personnes me destinaient à la magistrature, mais mes vues personnelles, elles, se dirigeaient plutôt vers l’art et en particulier la musique. A treize ans, je composai des opéras qui n’avaient rien à envier à Lulli ou à Rameau. Déjà !

 

            Mes sympathiques parents ne virent pas d’objection à ce que je monte, à seize ans, à Paris afin de parfaire mes études musicales. Là je fis la connaissance de Rameau et de Lulli bien sûr, mais aussi du roi Louis le quatorzième qui comptaient à ce moment-là, coïncidence, quatorze années. On me nomma professeur de viole de gambe de cet illustre personnage auquel je m’attachai et réciproquement. Mon existence se déroula comme dans un rêve : la Cour était acquise à mes œuvres qui étaient données dans le théâtre personnel du roi avec les interprètes les plus illustres de ce temps. Une chanteuse, soprano lyrique, attira tout particulièrement ma délicate attention, mais notre idylle ne se poursuivit pas au-delà de trois mois car elle mourut subitement dans un accident de carrosse, me laissant au désespoir. Mais ma jeunesse et mon charme aidant, je me vis rapidement entouré des plus belles jeunes filles de Paris et de province, dont l’une d’elles, poétesse, contribua à diluer ce chagrin. Bref, finalement, nous nous mariâmes. Quinze enfants issus de cette union illumineront notre vie de façon durable.  Entre-temps, je fus élu maire de Chalaronne et participai de façon active à la vie politique de cette période troublée, car le roi, devenu adulte me prit comme premier conseiller. Je m’adonnai évidemment au métier qui me faisait vivre, moi, mon épouse et ma progéniture : compositeur. Entouré de mes amis, dont le pauvre Jean-Baptiste Pergolèse que j’avais précédemment connu en Italie lors de mon voyage d’études, je composai pas moins de trente-six opéras : Pélléas et Mélisande, Orphée aux enfers, Le pays du sourire, Othello, la Flûte enchantée, La bohème, La Walkyrie, Rigoletto, Tosca et tant d’autres.

 

          Un mot sur ce pauvre Pergolèse : un garçon gentil, fin et distingué, si doué, si brillant, qui meurt à vingt-six ans de pleurésie, juste après avoir achevé son « Stabat mater », dont mon ami Lavoix a dit qu’il était « un cri de douleur ému et profond ». Il fréquentait avant son décès assidûment notre maison et juste avant de mourir, me légua sa théorie des « respons » dans le chant lyrique, que j’empruntai par la suite si souvent dans mes œuvres. Merci donc à l’ami Pergolèse. 

           

          La modestie n’étant pas mon fort,  je fis ériger sur la place de Châtillon, un obélisque à ma gloire et fis construire un théâtre qui ne jouait que mes opéras. Pour me faire plaisir, j’adressais à chaque représentation des tas d’invitations à travers toute l’Europe, ce qui remplissait mon théâtre. Comme j'étais bon bougre, mes administrés ne me tenaient pas rigueur de dilapider leur argent à des futilités alors qu’ils vivaient dans la misère, et bien que je fisse augmenter leurs impôts tous les ans. Mais ils étaient fiers de moi comme je l'étais moi-même.

 

           Mais il faut bien partir un jour ; et  je meurs le 22 mai 1680, confit dans ma richesse, ma gloire et mon bonheur.



10/08/2016
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