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L’appartement avenue Foch

 

 

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Pierre, mon ami de toujours, notre frère de cœur, le tonton-gâteau attentionné et adoré de mes fils, bref Tonton Pierre alias « Tonton Doliprane », cherchait à acquérir un appartement dans le centre de Marseille pour y finir ses vieux jours.

De préférence dans le 4è ou 5è arrondissement de Marseille.

De préférence avenue Foch.

De préférence avec balcon, traversant, avec vue.

Et de préférence sublime et pas trop cher.

Il le chercha deux ans. Il y avait toujours un petit quelque chose qui ne lui convenait pas.

J’en visitai six avec lui. L’un d’eux, boulevard Chave était splendide, mais trop grand mais trop cher mais trop de travaux. En outre, la vue y était minable.

Le second, toujours boulevard Chave lui plaisait bien mais pas à moi et je lui démontrai en quoi il était affreux. Et puis pour retrouver une vie sociale et de l’animation avenue Chave, ce n’était pas gagné. Car à part le tramway… Il me maintenait le contraire. Ce n’est pas parce l’avenue est belle qu’il est plaisant d’y vivre. Merde ! J’y ai habité plusieurs années, je sais de quoi je parle non ?

Un troisième rue Clémenceau avait le salon au nord, pas question d’avoir le salon au nord.

Un quatrième, à côté du Palais Longchamp, avait une vue incroyable sur les jardins, beaucoup de cachet mais trop petit.

Un cinquième place de la Plaine, pas mal du tout mais trop de travaux aussi et trop cher compte tenu desdits travaux.

Un sixième avenue Eugène Pierre, beau mais sordide et pourri, avec des glaces sur tous les murs et des tentures rouge sang au plafond : à tous les coups un ancien bordel.

Lui en visita une bonne trentaine. Il commençait à désespérer de ne jamais le trouver. Nous passions beaucoup de temps sur « Le bon coin » à essayer de dénicher l’objet rare.

Et puis un beau jour, ô miracle ! Il m’envoie par mail le lien. Quand j’ouvris la photo et qu’en outre je découvris le prix, j’en restai bouche bée. Une plaisanterie, ai-je pensé. Ce n’était pas possible tant de beauté et si peu cher. Imaginez un double-salon avec arcade, tapissé de bibliothèques, d’une cheminée monumentale, le tout en noyer et des vitraux aux fenêtres. J’en restai pantoise. Quelqu’un de plus cru que moi dirait « sur le cul ». Un monastère. Mon rêve.

Pierre me demanda de me mettre moi-même en rapport avec le vendeur parce que les femmes savent mieux négocier. Pas bien compliqué en effet de faire mieux que lui. Il disait : « Je vous en propose entre - mettons - 160 et 165 ». Ce n’est pas négocier ça ! Bien sûr que l’autre dira 165 ! Allez lui faire comprendre, à ce gros honnête, qu’il faut dire : « Je vous en propose 130 »… et puis on discute. On se disputa longuement à ce sujet.

Donc, je téléphone au monsieur. Rien qu’à sa voix, je sus que c’était un homme d’une immense gentillesse.

-        Bonjour Monsieur, votre appartement m’intéresse et je tiens à être la première à le visiter.

-        Ce n’est pas possible, j’ai déjà promis à un monsieur qu’il serait le premier. Et puis, pourquoi est-ce que je ferais cela ?

-        Premièrement, parce que je suis très sympathique… (Rires)

-        Ah bon, eh bien vous alors…

-        Deuxièmement, cet appartement est pour mon frère et il paie comptant, pas de crédit, c’est intéressant pour vous…

-        Euh… En effet.

-        Troisièmement, vous direz à ce monsieur que je suis votre cousine… ou votre soeur, il comprendra que je deviens de ce fait prioritaire.

-        Ah bon, eh bien vous alors…

-        Merci monsieur, donc c’est entendu pour lundi 14 heures ?

-        Ah bon, eh bien vous alors… Euh… Ben oui.

-        Merci Monsieur, vous êtes adorable.  Vraiment.

Compte-tenu de la splendeur émanant de la photo et du faible prix par rapport aux prix du marché, je m’attendais à que nous soyons déçus par le reste : immeuble dégueulasse, tout à refaire, malfaçons… Nous entrâmes dans l’immeuble. Cage d’escalier art déco années trente, repeinte de neuf, escalier de marbre blanc.

-        Bonjour Monsieur.

-        Bonjour, chère cousine !

-         !!!

L’appartement : une merveille. Même mon fils qui nous accompagnait, déclara : « Si c’était pour moi je le prendrais ». Et pourtant, à 18 ans, c’est plutôt le genre Ikéa. Il avait tous les critères exigés par Pierre : avenue Foch, traversant, un balcon, deux chambres, un grand salon, exposé sud, un cachet ancien, des cheminées et même une grande salle de bains avec fenêtre, à peine quelques travaux de rafraichissement et de l’électricité. Il avait absolument tout. Je négociai un peu le prix et obtins une petite remise de trois mille euros (de quoi refaire l’électricité et la cuisine) mais je ne marchandai pas plus, compte tenu du prix déjà très bas.

Le vendeur nous expliqua qu’en 1931, date de la construction de l’immeuble, un ébéniste connu de Marseille, Monsieur Martin, avait lui-même conçu et fabriqué tout cet apparat en noyer. Grand érudit, il avait fait de ce double-salon une bibliothèque contenant plusieurs milliers de livres qu’il avait fallu  – hélas pour moi – débarrasser. Il déclara en outre qu’il n’avait pas été habité depuis trente ans. Nous visitâmes longuement. Le coup de cœur. Dans mon enthousiasme, je dis à Pierre que je viendrai deux fois par mois astiquer tout ça. Il me fit jurer devant témoins. Je jurai.

Il demanda toutefois une nuit pour réfléchir, alors que le vendeur voulait une réponse dans la journée car les demandes étaient nombreuses. Réfléchir à quoi, je me le demande encore ? Au risque de le voir filer sous son nez. Bon, mais c’est Pierre. Et bon, c’est Denis (je l’appelle Denis maintenant, on est devenu franchement cousins, vu tout ce qui se passa par la suite). Et puis il était prioritaire du fait qu’il payait comptant. Nous nous souvînmes que trente-cinq ans auparavant, à Vintimille, nous avions fait trois tours de ville pour qu’il s’achète une paire de chaussures et que nous n’avions rien acheté. Alors pour un appart… Arrivé en bas dans le hall, Pierre vit une minuscule fissure dans le dallage :

-        « Ah ! Ah ! Cet immeuble a bougé (il commençait à chercher le petit quelque chose qui le ferait renoncer).

-        Il est debout depuis 1931, il attendra encore un peu pour s’écrouler, va ! Tu t’écrouleras avant lui (je ne croyais pas si bien dire…)

-        Tu es consciente que cet appart est sous-évalué ? Pourquoi ? Le problème, il est où ? ».                 Il me fallait réfléchir bien vite, il me fallait trouver tout de suite sinon Pierre serait totalement déstabilisé et, passé les premiers rails du tram, avant de rejoindre l’autre bord, j’avais trouvé. Tilt !

-        « Parce que ce monsieur n’est ni un propriétaire qui vend sa maison, ni une agence immobilière. C’est, ainsi qu’il nous l’a indiqué, un marchand de biens. Il a donc acheté ce bien à vil prix et réalise déjà un bon bénéfice.

-        Exact ».

Ouf ouf ouf ! Merci mes chers neurones, je n’en ai que quatre mais Dieu merci, ils carburent à fond.

Il retourna le voir le lendemain avec un ami commun pour avoir un avis. L’ami en question était tellement emballé qu’il songea même à vendre son appartement à Aix pour acheter celui-ci au cas où Pierre ne le prendrait pas. C’est dire ! Pierre… demanda un délai supplémentaire d’une semaine. Oh coquin de sort, je rêve ! Mais bon, c’est Pierre. Et bon, c’est Denis, qui bien trop brave, accepta. Le pauvre, il ne savait pas encore ce qui l’attendait…

Pendant une semaine donc, échange de mails entre Pierre et moi.

-        Alors tu le prends ?

-        Il me plait beaucoup, il a tout, mais je n’arrive pas à me faire l’idée que quoi que ce soit change dans ma vie, je n’y arrive pas, c’est trop dur !

Oh connasse de sa mère ! Ce n’est pas façon de dire : sa mère était réellement une connasse qui détestait son fils et par son manque d’amour ne lui a pas permis d’affronter certaines situations, par manque de confiance en soi. Je lui fis remarquer que s’il ne prenait pas celui-ci, il pouvait dire adieu à tout achat à l’avenir car il ne franchirait jamais le pas, ce dont il était parfaitement conscient.

-        « Tu sais, ce type a dit qu’il n’avait pas été habité depuis trente ans. Regarde la photo, le bureau avec plein de documents dessus. Tu crois qu’ils sont là depuis trente ans ? Alors, ça cache quoi ?

Attention, mes quatre neurones, au boulot triple carburation. Heureusement, je ne les sollicite jamais en vain. Ils sont toujours au garde à vous, en bons petits soldats ceux là.

-        Rappelle-toi, il nous a dit aussi que le propriétaire, qui vivait dans le Luberon, en avait fait son pied à terre et qu’il y venait quelques fois dans l’année pour régler ses affaires à Marseille…

-        Ah oui, en effet.

 Re- ouf ouf ouf ! Plus suspicieux tu meurs.

Pendant une semaine, il retourna le voir plusieurs fois, chercha la petite bête qui lui permettrait de ne pas l’acheter. Ne la trouva pas. Donna finalement son accord.

Re-re ouf ouf ouf !

Rendez-vous fut pris chez le notaire pour le compromis de vente le mercredi suivant. Il se rendit au rendez-vous… et ne signa pas. Il voulait un devis détaillé pour savoir - vous êtes bien assis ? Accroché à votre chaise ? - combien il lui en coûterait pour enlever toute l’ébénisterie, les bibliothèques (Pierre ne lit jamais de livres, il apprend autrement et il est très instruit), dégager le tout, démonter les vitraux, les mettre à la poubelle et faire remettre les murs en état.

Je ne rêve plus, je cauchemarde !

-        « Mais tu es complètement jobastre ? Tu vas détruire cette œuvre d’art ?

-        Je sais parfaitement que c’est une œuvre d’art et qu’elle est absolument parfaite. Crois bien que j’en suis malade, peut-être plus que toi. Mais je veux de l’espace, de la lumière.

-        Tu as 90 m2 pour toi tout seul et tu veux tout enlever pour avoir vingt centimètres de plus ? Tu veux plus de lumière alors que c’est plein sud ? Tu veux porter des lunettes de soleil toute la journée ? Non mais tu veux ma mort, c’est ça, dis-le ? Et s’il n’y a plus d’ébénisterie, je n’ai plus aucune raison de venir astiquer, OK ? ».

Le « cousin » m’appelle, atterré. « Je vais lui faire établir un devis à votre frère, bien que je n’aie pas à le faire, mais si je le fais pour quelque chose ou ce n’est pas la peine ? ». Je le rassure. Il m’indique que Pierre en sortant du notaire, lui avait affirmé que de toute façon, il lui achetait cet appart. Ah bon, alors pourquoi n’a-t’il pas signé, sachant d’autant plus qu’il avait un délai de rétractation de dix jours ? Ce mystère s’éclaircit dès le lendemain. Il eut un infarctus. Gravissime. On détecta qu’en réalité, l’infarctus avait eu lieu trois jours avant. Je sus plus tard que le notaire avait signalé à son client qu’il lui aurait été pénible de faire signer le compromis car « ce monsieur n’avait pas l’air bien ». En effet.

Je me précipitai à l’hôpital aux urgences. Pierre était très, très mal, et j’eus très peur. Il me confia que pour l’appart, c’était foutu car c’était un signe, il lui portait malheur, me demanda ce que j’en pensais. Je n’en pensais rien car je ne crois à rien ni à Dieu, ni à diable, ni aux signes. Mais je comprenais son désarroi et effectivement je pensais bien qu’il ne pourrait pas assumer tout cela dans les mois qui venaient. Nous envoyâmes ensemble - je dis bien ensemble, parce qu’il m’ordonna de le lui faire lire avant de l’envoyer – la confiance règne - un texto au vendeur, qui répondit qu’il comprenait parfaitement (il est infirmier) que dans ces conditions il n’était plus question de conclure. Trois jours après il me dit : « Bon, pour l’appart, prends rendez-vous avec le notaire ».

Stupeur générale. Je quittai l’hôpital en état de sidération totale. Le soir j’appelai le cousin.

-        « L’appartement, vous l’avez vendu ?

-        Oui, aux personnes que j’avais fait patienter pendant quinze jours, en attendant que votre frère se décide. Ils voulaient cet appartement de toute force.

-        Ce n’est pas possible. Pierre le veut toujours, il a tout oublié de ce qui s’est passé dernièrement, qu’il vous a rendu sa parole et vous a libéré de la sienne. S’il ne l’a pas, il va en mourir…

       - Mais vous vous rendrez compte ? La dernière fois, comme ils insistaient, ça s’est assez mal terminé entre eux et moi, et j’ai dû rompre sec les relations. Mais que vais-je dire ? Je ne peux pas me permettre de les envoyer paître une seconde fois, cela ne se fait pas !

       - Vous pouvez leur dire que vous aviez oublié que Pierre vous avait envoyé un mail, ce qui était vrai d’ailleurs, s’engageant à l’acheter. Vous brandissez cette promesse d’achat. Ou bien vous inventez que vous avez signé une promesse de vente.

-        Mais vous vous rendez compte que me pourrissez ma soirée, ma nuit, et ma vie ? Vous me crucifiez, là !

-        J’en suis bien consciente et bien désolée croyez-moi… Je vous en prie, je vous en supplie… à genoux… Et pleurai abondamment.

-        Laissez moi une nuit, je vous rappelle demain, je vais réfléchir ».

Je passai une nuit blanche. Lui aussi apparemment car le matin, à la première heure, il m’appela : « Vous avez une force de persuasion pas ordinaire. Je comprends bien qu’il y a un drame humain. Je le laisse à votre frère, l’appartement. Et maintenant plaignez-moi car je vais appeler mes autres acheteurs et faire le sale boulot ».

Soyez béni, cher Monsieur.

J’arrive auprès de Pierre et lui dis donc que nous avions demandé rendez-vous chez le notaire. Vous êtes bien assis ? Accroché à votre chaise ?

-        Je vais faire venir un deuxième notaire, car je ne veux pas me faire arnaquer.

Hors de moi et de mes gonds :

-        Tu vas faire venir degun, tu entends, il est hors de question que tu leur infliges cet affront.

-         Ah bon ».

Quelques jours après, je sortis pendant deux heures Pierre de l’hosto et le conduisis chez le notaire qui, tout au long du compromis s’adressa à moi - bien que par discrétion je me fusse mise en retrait - car Pierre visiblement était ailleurs, complètement groggy. Il n’articula pas un mot, le pauvre.

En sortant de là, il me dit, et c’est bien la preuve qu’il avait subi un pétage de plomb car Pierre est juriste :

- Dorénavant « il » sera bien obligé de m’ouvrir quand je veux pour prendre des mesures.

D’une part, « il » lui avait fait visiter plusieurs fois, ne comptant pas ses heures, et d’autre part, étant juriste également, je m’en étonnai et lui demandai si le contenu du compromis l’avait expressément prévu. Cela aurait pu, car on peut convenir de ce que l’on veut dans un contrat.

- Non.

- !!!

Il y a des moments où l'on connait de grands moments de solitude. Cela en fut un, et je m'abstins de tout commentaire car on entre pas en polémique avec un homme  provisoirement dépourvu de ses facultés intellectuelles.

J’ai deux autres amis, deux artistes. Nous étions réunis un jour à table et je leur décrivis l’appart en question. L’un d’eux me dit que s’il ne venait pas d’investir dans deux studios, il aurait acheté celui-ci. L’autre me dit : « Pierre l’a payé 163 ? Je lui en donne 170 ». Leur rêve de monastère, à eux aussi.

Six semaines ont passé. J’allai visiter Pierre à l’hôpital quasiment tous les jours. Il ne parlait jamais de l’appartement, ce qui devenait très inquiétant. Hier enfin, il m’indiqua que le notaire avait fixé la vente le 4 novembre prochain ; qu’il avait envoyé un texto à son ami Hocine pour qu’il se tienne prêt pour les travaux. De mon côté, j’ai déjà prix attache avec une entreprise de bois peints car il est tout à fait hors de question de se débarrasser de toute cette splendeur.

Ah !  Il veut de la lumière ?

Je le regrette bien mais plutôt que voir tout détruire…. On repeindra tout en ivoire !

Comme vous le pensez bien, le reste de l’histoire va continuer à s’écrire.



01/11/2015
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