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Non-dit

        Un diablotin giclant de sa boite à ressorts, voici Paul contre lequel, à table face à lui, je protège à tour de rôle, les écartant l’un après l’autre, ma carafe, mon vase de fleurs et mon lampadaire, tant ses bras ressemblent aux ailes d’un moulin en amour avec le vent car la force du geste, alliée à la puissante précision de ses mots choisis, ponctue en totale synergie chacune de ses narrations, En même temps qu'avec lui surgit à chaque fois un ouragan franchissant le seuil et dure tout le temps de sa présence chez nous, nous inondant de sa fraîcheur d’âme et d’un puissant souffle de vie et de rires.

        Trois ans en arrière, les deux gamins que nous sommes arpentaient les petites annonces du " Bon coin " en même temps que la campagne à la recherche de la maison de ses rêves. Contournant la rapacité des agences immobilières, je me présentais seule à elles pour visiter et ainsi jouais-je à chaque fois - le théâtre et la comédie me manquant terriblement - des rôles différents qui m’amusaient beaucoup : celui de la maman cherchant une maison pour son fils, de la jumelle cherchant une propriété pour sa jumelle restée en Italie désirant se rapatrier en France, ou pour moi-même, etc. Il me fallait faire attention de ne pas me couper, aussi tournais-je sept fois la langue dans ma bouche à chaque prise de parole. Selon ce que je lui disais du bien visité, il y retournait au nez et à la barbe de l’agence pour traiter directement avec le propriétaire. Ce petit jeu ne l’avantagea finalement pas car il tomba sur un couple de fous furieux auxquels il acheta sa maison, ce qui n’est jamais une mince affaire avec les fous qui se termina assez  mal.

        C’était Paul que la vie n’a pas épargné mais dont la dignité et la pudeur intrinsèques ne cessent de parer le visage de bienveillance et de joie.

        Pendant cinq ans, nous avions tout partagé : misères et rires en totale complicité, en fratrie.

        Jusqu’à cet été. Et puis le lien fut cassé à force de " ne pas dire ", de se retrancher sous une fausse apparence radieurse alors que le cœur pleure, ou se retrancher tout court dans le silence pendant des mois sans explications et nous reprochant silencieusement une chose que nous ne sûmes jamais quelle fut-elle car non dite (mais j’ai la faculté d’entendre tout ce qu’on ne me dit pas…) et par voie de conséquence nous mettant en situation d’accusés sans avoir l’opportunité de nous défendre ou d’opposer un démenti.

Et comme je ne supporte pas ces non-dits destructeurs de confiance et les faux-semblants dévastateurs (notamment chaque fois que j’évoquais mes fils, lui piquant du nez dans son assiette – jalousie d’un père frustré de l’amour de sa fille ou haine de mes enfants ?– je ne sais), un mauvais jour de janvier où le temps gris, venteux pluvieux et froid s’y met aussi, la conversation roulant, roulant sur des pentes dangereuses, d’un coup je lui dis ma déception. Pour en parler, pour en débattre. 

        Et lui, campé dans sa fierté, son autoritarisme donneur de leçons, sa dureté à penser tout le temps que tout ce qu’il fait ou dit est seule vérité et ne supportant la pas la moindre contradiction, mit un terme violent, brutal et définitif à cette belle relation fraternelle.

        Et moi, lasse d’avoir tant combattu sur tous les fronts depuis que je suis enfant, lasse de me justifier de tout et de rien, j’ai pour une fois baissé les bras et suis partie sans combattre, parce que vraiment, il avait raison l’autre : " L’enfer c’est les autres ".

        Et moi, j’en ai marre.

 



07/01/2016
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