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Le confort domestique des années cinquante

 

 

 

       Mon père était encore ouvrier en ce temps-là, et dans la classe sociale qui était la nôtre à cette époque, rares étaient les salles de bains. Tous les jours, nous nous lavions devant l’évier de la cuisine. On faisait auparavant chauffer de l’eau sur le poêle à charbon, qui était l’unique chauffage, revêtu de fonte, qu’on nettoyait avec le produit « Zébracier ». On transvasait ensuite cette eau chaude dans une bassine en zinc et avec le gant de toilette, on se lavait comme les chats, en commençant par le visage et en descendant jusqu’aux pieds.

       Une fois par mois, ma mère se rendait aux « Bains Publics » qui se situaient au pied de la colline St-Jacques à Cavaillon, à droite de l’arc romain. J’aimais l’y accompagner car à trois, quatre ans, j’étais fascinée par la vue de la baignoire. Cet établissement était constitué de différentes pièces très propres, très lumineuses, toute carrelées de blanc, à l’ancienne.

      

       Nous avions un WC à la turque au bout de la maison, qu’on appelait « les waters », une espèce de petite véranda, non chauffée l’hiver, surplombant le jardin des gens de dessous. On n’avait pas de papier de toilette, considéré à cette époque comme dépense inutile, on découpait les pages du journal en petits carrés qu’on accrochait à un clou. Quel confort et quelle hygiène pour nos fesses ! Et il n’y avait pas de chasse d’eau non plus. On remplissait des seaux qu’on jetait dans le trou. Les destructeurs d’odeurs et autres déodorants n’existaient pas, bien sûr, et eussent-ils existé que nous n’aurions pas eus.

      

       Les réfrigérateurs électriques, tels que nous en avons maintenant et ce, depuis les années soixante, n’existaient pas non plus. Nous avions une glacière : un petit meuble en bois, tapissé de zinc et de liège à l’intérieur, avec une énorme manette servant de serrure. Une ou deux fois par semaine, un camion arrivait dans notre rue et nous allions lui acheter des pains de glace. C’étaient de longues barres glacées, que le vendeur cassait avec un pic et que nous payions tel ou tel prix en fonction de sa longueur. Nous les nous placions ensuite dans la glacière. C’est ainsi que nous pouvions conserver quelques aliments tels que le beurre, quelques légumes et le lait. Le lait U.H.T n’existait pas non plus et on l’achetait au jour le jour, ainsi que la viande ou le poisson. Les supermarchés n’existant pas encore, on effectuait les courses dans de petits magasins, - épicerie, boucherie, poissonnerie -, au fur et à mesure de nos besoins. Ces aliments étaient enveloppés dans du vulgaire papier journal et ma foi, la population n’était pas plus malade que maintenant, en tout cas certainement moins empoisonnée qu’elle ne l’est aujourd’hui… Comme nous n'avions pas de congélateur non plus, on ne mangeait pas de glaces et sorbets en permanence. Les jours de fête, on achetait la « bombe glacée » chez le pâtissier, vers midi, au dernier moment avant de passer à table, enveloppée dans une boite de liège qui la maintenait tout au plus deux heures, jusqu’au dessert.

 

       Une fois tous les quinze jours, une vieille femme qui avait tout de la sorcière de Blanche-Neige, apportait des œufs. Elle entrait et criait : « C’est encore moi ! » (pourquoi « encore » ?) et de temps en temps, on l’entendait du haut de la rue, sur son vélo, crier : « Brousses du Rove ! Brousses du Rove ». Un régal bien sûr. Une fois par an, c’est la cardeuse qui passait pour rénover nos matelas. Cela lui prenait la journée : tout découdre, aérer, carder toute la laine, confectionner la couverture neuve... Il y avait aussi le rémouleur pour aiguiser les couteaux car on ne jetait pas les objets : on les réparait, on les restaurait.

      

       Les allées et venues de ces vieux métiers, comme on dit, créaient de la vie. Regardez nos villages maintenant : morts ! Pas âme qui vive ! Tous à l’hypermarché à acheter des horreurs industrielles !

      

       Ma mère et mes sœurs faisaient la lessive à la main. De ce fait, on changeait beaucoup moins souvent les draps. En fait, on mettait le drap de dessus dessous, et on ne changeait que le drap de dessus, et ainsi chaque fois. On ne se changeait pas tous les jours non plus comme on le fait désormais.

       Un jour, mes parents achetèrent une machine à laver. Elle ne ressemblait pas du tout aux appareils de maintenant. On la roulait au milieu de la pièce, on la branchait à la prise (oui, quand même), puis on raccordait un tuyau à l’arrivée du gaz (le gass comme on dit ici) ; on vissait un autre tuyau au robinet pour la remplir d’eau ; ensuite on mettait la flamme,  pour qu’elle puisse chauffer ladite eau, en se tenant toutefois à bonne distance. Les voisins, qui n’en avaient pas encore, venait la voir fonctionner, c’était l’attraction. Pour la vider, on se servait du même tuyau, et ainsi de suite pour les rinçages et vidanges. L’enfer, quoi ! Puis, pour essorer, on passait le linge dans deux rouleaux compresseurs situés au-dessus et on tournait la manivelle. J’avais trois ans, mais je m’en souviens tellement c’était quelque chose ...

       Bref, au bout de quelques temps de ce régime-là, on revendit la machine et on se remit à laver le linge à la main, ce qui était beaucoup plus simple et beaucoup moins fastidieux.

 

       Nous avons eu l’un des premiers téléviseurs. Dans la journée, il y avait la mire. De temps en temps, "Interlude" : le petit train avec cette musique si jolie, une gourmandise. Pas de pub. Une seule chaîne. Le paradis… Les programmes commençaient le soir, sauf le jeudi après-midi où étaient diffusées des émissions pour les enfants : je me souviens du chien Rintintin et Ivanhoé aussi, incarné par Roger Moore dont j'étais tombée follement amoureuse - à trois ans... j'ai commencé jeune -, et énormément pleuré après le dernier épisode, comme si ma vie en dépendait. Comme c’était la seule télé de la rue, les voisins le soir apportaient leur chaise pour la regarder avec nous, on ne pouvait pas dîner tranquillement, nous étions envahis ! J’avais trois, quatre ans et un matin où ma mère faisait le ménage, elle se mit à dévisser une première vitre qui protégeait l’écran pour justement pouvoir nettoyer la deuxième vitre. Je me mis à hurler et à m’arracher les cheveux, croyant dur comme fer que les gens que j’avais vus, la veille dans le film qui était diffusé, allaient sortir de l’écran et nous tuer !

J’en ris encore.

 

     Nous avons attendu trois ans le téléphone. Trois ans pour avoir une ligne ! Qu’il était beau, si haut, brillant, tout noir, avec son petit appendice – l’écouteur – qu’on accrochait au dos de l’appareil. Quand on nous appelait, la personne devait demander à une opératrice le 978 à Cavaillon. Quand nous, nous téléphonions, il fallait décrocher, attendre que la dame nous parle : on demandait un numéro, qui à l’époque n’avait pas dix mais un, deux, ou trois chiffres maximum en précisant la ville. « Le 22 à Asnières », vous vous rappelez ? Pour téléphoner à l’étranger, il fallait s’y prendre bien à l’avance. On demandait l’appel à l’opératrice, et celle-ci nous mettait en communication souvent plusieurs heures après. Cela donnait lieu à de belles engueulades, car quand la liaison ne s’établissait pas correctement, ce qui était fréquent, c’était forcément de sa faute due à sa crade incompétence. Alors, on s’en prenait à la pauvre dame, devenue bouc émissaire de tous les grincheux…

 

       Voilà, mes enfants, un témoignage de la vie dans notre enfance.

 

 

 

 

 

 



07/03/2016
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