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Guy Monnier

 

 

Nous sommes allés en vacances dans ta maison médiévale en Italie. J’y suis retournée. Sans toi. En effet, tu avais jugé bon il y a vingt ans de nous fausser bêtement compagnie alors que nous te pensions et te voulions éternel. Nous étions tous tes enfants, tu nous considérais comme tels et nous aussi d’ailleurs. Maintenant, nous sommes tous tes descendants, frères et sœurs unis par l’esprit et le cœur. Les tiens. Un pour tous et tous pour un, c’est ce que tu nous as appris, que tu nous as laissé en héritage : le clan Monnier, cinquante ans de liens. Tu y es au centre, toujours.

Tu nous avais ouverts à d’autres vies, d’autres mondes : celui de ton érudition, du partage, de l’amitié, un monde sans faux-semblants et sans compromissions. Ta porte était toujours grande ouverte sur nos petits et grands problèmes d’adolescents et de jeunes adultes. Tu ne jugeais jamais, tu ne nous indiquais même pas la voie, non, tu nous aidais à avancer, à toujours faire mieux, à voir plus clair, à agir en conformité avec nous-mêmes et avec ce que nous croyions et pensions. L’extrême rigueur de ta pensée exposait et disséquait les faits dont il était question, mais c’était à nous à de tirer les conséquences et trouver les solutions. Quand je revois ce merveilleux film « Le cercle des poètes disparus », c’est toujours à toi que je pense et c’est toujours sur toi que je pleure. Tu étais notre Capitaine et tu nous proposais de voir les choses à la hauteur à laquelle tu naviguais, à ne pas rester au fond de la vague. Sans doute as-tu commis des erreurs car le rôle de Pygmalion n’est pas le plus simple mais qui ne fait rien ne se trompe jamais. Si elles furent, elles te sont de toute façon pardonnées car tu as donné bien plus que tu n’as pris. En tout cas, avec moi tu fis un parcours sans faute.

Un jour, l’un de nous te demanda de lui prêter deux mille francs. Trois mois ou un an après, il te dit qu’il ne pouvait pas te les rendre parce que tel autre en avait eu besoin et qu’il te les rendrait directement. Trois mois ou un an après, un troisième et ainsi de suite. Ces deux mille francs ont fait le tour de ton monde. Je te revois, tout heureux, me déclarer : « Tu te rends compte à combien de copains j’ai pu rendre service avec seulement deux mille francs ! ».

Pendant tant d’années, tu nous as trimballés dans ton auto, dans tout Marseille et dans toute l’Europe pour les vacances. Entre autres, tu nous servais de chauffeur. Tous les mercredis soirs par exemple, tu passais nous prendre les uns et les autres pour nous rendre à l’atelier où se déroulaient les

activités axées sur les techniques de communication et que tu animais : sublime don que tu nous fis qui nous a appris à être en justesse, à avoir le souffle, l’énergie, le geste et le verbe adéquats en toutes circonstances, ce qui nous servit dans nos existences et dans nos professions respectives. Tu venais me prendre, puis Jacques, puis Abdallah, puis Machin et Truc et tu nous ramenais après, comme un père. Pendant le trajet nous chantions des chansons des Beatles et « Les copains d’abord ». De la seconde à la terminale, tu corrigeais - tu étais prof de lettres - mes  dissertations, qui étaient le point de départ de discussions et débats passionnants. Je vécus ainsi, de seize à dix-huit ans, au-dessus de mes moyens.

               Ce fut un énorme privilège de t’avoir rencontré. Comme une simple vie peut être magnifiée au gré des rencontres d’une telle qualité !

Tu me manques. Depuis plus de vingt ans.



22/10/2015
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