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Carnets de voyage : Brest

       La toute première fois où je me suis rendue à Brest, il y a trois ans, pour assister à la présentation au drapeau de mon fils à l'Ecole des mousses, j'ai été choquée par la vilaine architecture de cette ville, moderne, épurée, à angles droits, sans couleur et sans saveur, à l'opposé de mes goûts haussmanniens.

       Mais au fil de mes allées et venues, cette ville m'apprivoisait, m'attachait à elle. A travers des livres, j'appris son martyr à la fin de la deuxième guerre mondiale, sa dévastation et je relus le poème de Jacques Prévert  :

 

"Barbara... il pleuvait sur Brest sur jour-là...

 

"Oh Barbara

Il pleut sans cesse sur Brest

Comme il pleuvait avant

Mais ce n’est plus pareil et tout est abîmé

C’est une pluie de deuil terrible et désolée

Ce n’est même plus l’orage

De fer d’acier de sang

Tout simplement des nuages

Qui crèvent comme des chiens

Des chiens qui disparaissent

Au fil de l’eau sur Brest

Et vont pourrir au loin

Au loin très loin de Brest...

Dont il ne reste rien". 

 

        C'est à ce moment-là que je fis miennes les souffrances de cette ville en parcourant ces pages de ruines, de visages hébétés, d'immeubles éventrés, je compris enfin le sens de ce poème appris alors que j'avais quinze ans. Nous l'avait-on expliqué, je ne m'en souviens pas, cancre que j'étais, ma tête et mon attention devaient une fois de plus être dans les nuages. Et c'est cet écroulement de la ville bombardée par les Américains en 1944 qui explique l'architecture de Brest aujourd'hui. Elle fut reconstruite rapidement sur ses ruines. Nulle trace d'andrônes, de ruelles ou de traboules, de petits coins pittoresques, non, rien que des avenues tracées au cordeau, de façon très mussolinienne selon la mode de l'époque.

         Je pris le bateau et visitai la rade.  Le bateau faisait un curieux détour pour éviter d'entrer dans le "Goulet de Brest", longeait "la pointe des Espagnols" et la presqu'île de Plougastel-Daoulas, si verdoyantes, si belles... J'étais perdue, ne comprenais rien à la configuration de ce site majestueux, magique. Quelques temps après, je décidai d'aller à Camaret-sur-mer. Je parcourus, à partir de Brest une centaine de kilomètres. Alors que j'entrai dans la ville, je vis sur ma droite un panneau qui indiquait "Pointe des Espagnols"; cela me rappelant quelque chose, je bifurquai donc pour aller voir, curieuse, ce que c'était, cette fameuse pointe des Espagnols. Je parcourus une dizaine de kilomètres sur une petite route sauvage, plantée sur la lande, tourmentée, sublime. Au détour d'un virage, oh! la mer... une plage déserte, la marée qui monte... Je n'étais pas encore familiarisée avec la Bretagne et notamment le Finistère où l'océan n'est jamais bien loin, la lande omniprésente, cette merveille... Après quelques minutes de béate contemplation, je continuai ma route, garai la voiture, continuai à pied, et là, d'un coup, je reçus en pleine gueule une ville, là, en face, à quelques centaines de mètres.  J'étais stupéfaite de la voir surgir alors que j'étais si loin de tout. Qu'était-ce, cette ville blanche? Petit à petit, je reconnus l'arsenal où, la veille au petit matin, je regardais en pleurant sous la pluie la frégate de mon petit s' éloigner pour son premier voyage. "Il pleuvait sur Brest ce jour-là...". J'étais sidérée : j'avais parcouru cent kilomètres et me retrouvai en face de Brest, quasiment à mon point de départ !

Je me décidai à consulter une carte. Le Finistère est formé de ce triton, cette grande presqu'île que l'on voit à la météo tous les jours. Trois dents. La rade de Brest est enserrée dans la dent du haut et fait face à celle du milieu, la presqu'île de Crozon, sur laquelle j'avais parcouru tant de kilomètres. Brest, la ville meurtrie, se niche à l'abri dans une conque, la rade, quasiment fermée sur elle-même. Les bateaux ne peuvent passer que par ce fameux Goulet de Brest, ce minuscule goulot, large d' un kilomètre et demi à peine, entre la Pointe des Espagnols où je me trouvai, et le Phare du Minou. Si l'on parcourt la côte vers l'ouest en quittant Brest, on arrive à la Pointe St-Mathieu, l'un des sites les plus fascinants qui soit. Au bout de la dent du milieu, Camaret et en face, le Canada. Comme par un effet miroir, un papier que l'on aurait déplié après y avoir dessiné une carte, de l'autre côté de la presqu'île de Crozon et véritable pendant de Brest, Douarnenez et sa  baie...

         Depuis que j'ai vu toute cette beauté perchée sur la lande, je suis sous l'obsédante emprise de cet endroit de France.

        Au fil des années, je me familiarisai avec Brest que j'avais trouvée laide au premier abord. Non, Brest est belle, en majesté sur ses hauteurs, c'est une lande en fait que l'océan vient lécher, abritée par son solide château : le Fort bâti par Vauban et la Tour Tanguy qui protègent l'entrée de la Penfeld et de l'arsenal. Et enjambant ce bras de mer, le pont-levant Recouvrance, bâti en 1954, de construction très moderne donc, confère un air complétement surréaliste à tout le site. Il relie la rive droite et la rive gauche de la ville, de la rue de Siam au quartier Recouvrance, cette étroite rue de Siam, ravagée, devenue aujourd'hui une grande artère portant exclusivement le tram et montant jusqu'à la place Liberté dans une perspective absolue. Oui , Brest est belle.

        Dans un livre qui s'intitule "Brest il y a cent ans", j'avais vu l'ancienne gare napoléonienne, elle aussi détruite complètement et remplacée par un bâtiment neuf. Quel dommage m'étais-je dit ! Oh mais non : comme est elle jolie la petite gare de Brest, entièrement vitrée de petits carreaux, de taille humaine, toute ronde, et flanquée d'une tour carrée avec son horloge ! Je ne me lasse pas de la regarder : elle ressemble comme deux gouttes d'eau à un aéroport dans un épisode d'Hercule Poirot ! A proximité, une rampe en circonvolutions dominée par une grande allée de verdure, où se trouve le Monument en territoire américain, descend à flanc de la falaise jusqu'au port de commerce.

         Tout ce que j'ai décrit et beaucoup d'autres lieux encore confèrent à cette ville un charme remarquable pour qui sait la regarder.

         J'ajoute que j'ai eu l'impression, lors de ma dernière virée à Brest cette semaine, de revenir aux années cinquante et soixante, au milieu d' une population calme et bien éduquée, soucieuse d'ordre et de propreté. Pas de cris dans les rues ou dans le tram, pas d'injures, pas de coups de klaxons, pas de sacs arrachés ou de voitures volées, pas de beuglements, de la gentillesse à tous les coins de rue. Des gens normaux, dans une ville normale, bien loin de la saleté et de la vulgarité du sud.

        

         Je repris l'avion pour Marseille.

         Il faisait grand soleil sur Brest ce jour-là...



11/10/2016
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