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Ma mère - saison 2

       J’avais seize ans. Mes ongles rouges, vernis, étaient parfaits sur mes mains bien blanches et bien lisses de jeune fille « de bonne famille ».  Je l’entendis dire, avec tout le mépris dont cette femme était capable, à la femme de ménage qui avait une trentaine d’années, mère de deux ou trois enfants, trimant dur et qui bien entendu, passant la serpillère toute la journée avait des ongles ras, pas beaux, dont le vernis rose s’écaillait : « Regarde les mains de ma fille, ça c’est quelque chose, pas comme toi, souillon, pouah… ».

       Au lendemain du décès de mon père, cette personne que nous n’avions plus vue depuis quinze ans ayant appris notre catastrophe par le journal, s’était déplacée alors qu’elle habitait à l’autre bout de Marseille.

       Pour venir la consoler.

       Un jour je trouvai André, un jeune homme qui travaillait bénévolement dans le bar-restaurant de mes parents, complètement affaissé et abasourdi. « Ta mère m’a refusé une banane parce que j’avais déjà pris du fromage ». Il avait vingt ans et un appétit d’ogre à cet âge. J’allai lui chercher trois bananes. Elle allait jusqu'à voler les pourboires laissés par les clients pour les serveurs.

       Quand ma sœur Dédoune, vingt-deux ans, a quitté son mari, elle a parcouru cinq kilomètres à pied, son bébé sur les bras, pour se réfugier chez nos parents. Ce fut le début d’une très longue période d’esclavage pour elle, qui dura des années et des années. Ah ! elle le paya cher le gîte et le couvert ! Elle donnait tout son salaire à ma mère qui attendait le samedi pour faire le ménage en grand. C'est-à-dire pour que ma soeur fasse le ménage en grand ! Et en plus, elle lui servait de chauffeur, de secrétaire et de faire-valoir. Toujours aux ordres. Et elle devait entendre notre mère dire alentour : « Vous vous rendez compte : toutes ces bouches que j’ai à nourrir ! ». Cette salope avait quarante-deux ans à cette époque, femme au foyer. Ma sœur travaillait donc toute la semaine dans une usine comme laborantine. Tous les matins à sept heures, été comme hiver, elle levait son bébé pour l’amener à la crèche parce que sa mamie refusait de le garder ne serait-ce qu’une journée. Pour avoir un peu d’argent pour acheter le nécessaire à son petit, elle faisait des nuits en clinique en plus comme aide-soignante. Et la salope de dire : « Et endors-le avant de partir ce soir car il est hors de question que je m’en charge ».

Pour se faire un peu d’argent – car on ne nous donna jamais d’argent de poche – Dédoune qui était matheuse, décida de donner des cours à six élèves de sixième. Chaque semaine, elles les réunissait dans la salle à manger, et chacune donnait son écot. La salope lui prenait tous ses sous « pour payer l’électricité » d’une heure de cours ! Elle ne lui laissa que le dernier mois afin qu’elle s’achète des chaussures, qu’elle-même aurait dû normalement lui acheter notons bien !

Il y  avait le bal du bahut ce soir-là, fête que toutes ces jeunes filles de l’époque préparaient des mois à l’avance pour être belles. Car en ce temps-là on était élégant. Les garçons revêtaient leur costumes-cravate, les filles commençaient à s’apprêter des heures à l’avance. Pour moi qui avais six, sept ans, c’était une féérie de voir ces Cendrillon aller danser. Au moment de sortir, Dédoune avait quoi… dix-sept, dix-huit ans… dans sa jolie robe neuve que notre sœur lui avait confectionnée, lui demanda cinq francs pour aller au bal. La mère les lui refusa. Toute la soirée, ma sœur resta à la fenêtre (nous habitions en face La Cigale où le bal du bahut avait lieu) pour regarder en pleurant tous ses amis aller et venir et s’amuser. Au milieu de la soirée, la mère lui demanda « Mais tu ne vas pas danser ? ». Salope ! Oui, nous étions en plein conte de Cendrillon, la même scène. Mais il n’y avait pas de marraine pour consoler et arranger le coup. Juste une marâtre sadique.

       Vous me direz : mais le père ? A cette époque, papa était transporteur, il faisait la route et était rarement là. De toute façon, même présent, il n’aurait pas pris le risque, dans sa grande lâcheté, de s’interposer.   

       Il  lui paraissait comme une incongruité de donner de l’argent à ses filles. Et pourtant toutes trois avons vécu des galères pas possibles.

       Ma sœur ainée et son mari étaient garagistes, et ils faisaient faillite sur faillite. Ils dégustaient les pauvres ! Un jour mes parents leur ont prêté - je dis bien prêté - cinq mille francs

Mais le moment ne tarda pas où ils voulurent récupérer cet argent. Que faire ? Comme ils n’en étaient pas à une saloperie près, ils décidèrent d’investir et de changer mon piano. Sans même m’en parler et alors que je n’en avais nul besoin. Ainsi demandèrent-ils à être remboursés sans sommation, alors qu’ils gagnaient de millions dans leur commerce. J’ai honte quand je pense à cela. J’avais quinze ans, que pouvais-je faire, je n’étais même pas au courant et je ne vivais même plus avec eux ?

       Une autre fois, ma sœur Dédoune ayant obtenu son D.E d’infirmière en psychiatrie, ils décidèrent de lui faire un cadeau : « Nous allons te prêter - je dis bien prêter -  les vingt pour cent d’apport pour que tu t’achètes une voiture (d’occasion).

       !!!

       Elle aurait préféré, la pauvrette qui élevait seule son enfant, qu’ils lui donnent cinq cents francs, ce qui aurait constitué effectivement un cadeau ! Je précise qu’en ce temps-là, elle leur servait non seulement de secrétaire bénévole, mais en outre de prête-nom dans leur commerce. Quelques semaines après, ma sœur portait une jolie robe neuve. La mère la regarda de haut en bas et lui dit : « Tu sais que tu me dois de l’argent ? ». Vous le croyez ça ?

       Des années plus tard, ma sœur acheta à crédit son appartement. Tout ce que la salope trouva à lui dire, c’est qu’elle ne s’en sortirait pas. Quand à mon tour, j’achetai ma maison et que la banque me demanda une caution, il me parut naturel de demander à ma mère, vu que moi-même m’étais portée caution pour une copine. Elle en défaillit, la main sur cœur, avec force hoquets de stupéfaction. Et pourtant j’empruntai très peu, cent trente mille francs, il y a vingt ans, sur huit ans et mes mensualités étaient deux fois moindre que le loyer que je payais jusqu’alors. Mais une mère normale aurait donné cet argent, comme nous l’avons fait pour nos enfants! Ou au moins prêté ! Nous parlâmes d’autre chose. Au moment où je partais, elle me dit : « Pour ce que tu m’as demandé, si vraiment on ne peut pas faire autrement… ». Je lui répondis, à la cantonade, en descendant l’escalier, qu’on pouvait toujours faire autrement. Ce fut une amie de ma sœur qui spontanément, quand je leur racontai la scène, me proposa sa caution. Quand la salope entra dans la maison de village que nous allions restaurer, elle regarda et dit : « Mais quelle horreur, vous ne la revendrez jamais ! ». D’abord on venait de l’acheter, qui parlait de la revendre ? Et ensuite elle vient d’être évaluée… trois cents mille euros.

       Au lieu de se réjouir des succès de ses enfants, elle en était méprisante et jalouse. On ignore pourquoi. Et dire que c’est nous trois qui sommes allées faire une psychothérapie, alors que c’était sa place à elle le divan !

       Quand elle eut soixante deux ans, elle me dit : « Maintenant il faut que vous me preniez en charge et que vous vous occupiez de moi » (comme si l’on avait fait autre chose que s’occuper d’elle…). J’ai soixante-deux ans. Ce sont des propos que jamais, jamais personne ne m’entendra tenir, plutôt crever.

       Il y a trois mois, j’allais rendre visite à une dame, ancienne amie de mes parents, que j’avais connue toute petite quand nous habitions Cavaillon et que je n’avais plus revue depuis plus de cinquante ans. Cette très vieille dame me reconnut tout de suite, ce n’est pas croyable. Elle me demanda bien sûr des nouvelles de ma famille. Quand ce fut le tour de ma mère, je lui répondis que je ne la voyais plus car ce n’était pas une bonne personne. Elle me raconta alors que d’une part elle l’avait se fâcher avec sa meilleure amie  et d’autre part elle l’avait « prévenue » que lorsqu’elle elle partait quelques jours, on ne voyait plus la voiture de son mari ; que certainement il allait au bordel à Avignon. Et ça, vous le croyez ? Dingue, non ?

       Je suis allée à la ville à côté où habita ma mère quelques années et une passante m’arrêta dans la rue : « Vous ne seriez pas la fille de Madame de Vittorio ? ». Je répondis affirmativement. « Je m’excuse de vous le dire mais votre mère est une vraie salope ! ». Et en souriant, je lui répondis : « Mais je le sais parfaitement, Madame ».

 

… Suite prochain épisode !

 



30/10/2015
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